31 mars – J12 – 28 kms – Temples 24 et 25
Poisson séché et œuf cru entre autre au menu du petit déjeuner… J’ose demander qu’ils me fassent cuire l’œuf que je n’ai pas mangé et, gentiment, au moment du départ, ils nous donnent deux œufs durs bien emballés avec un peu de sel.
La jeune femme qui fut hier soir si attentionnée fut à une certaine époque henro comme nous. Ayant fait halte un soir dans cette auberge durant son pèlerinage, le garçon de la maison est tombé amoureux d’elle… et ils se sont mariés. Un vrai conte de fées grâce à Kukai. Il nous montre très fièrement une photo familiale que j’avais déjà remarquée où l’on reconnait la grand-mère, la mère, lui-même le fils et son épouse. Il ne manque que le bébé qui, à l’époque de la photo, n’était pas encore né. Donc il s’agit bien de quatre générations sous un même toit, comme chez Lao She !
A part ce fichu petit déjeuner que je ne parviens toujours pas à avaler, cette halte fut bien agréable.
Et nous revoici sur cette omniprésente route 55 en bordure d’océan avec comme perspective immédiate 15 kms sans aucune agglomération.
La côte rocheuse est effectivement quasi déserte à part quelques habitations isolées, des maisons de pêcheurs sans doute.
Rencontre avec un épicier très sympathique
Dans le premier village rencontré, nous complétons notre pique-nique dans la petite épicerie avec ce que nous y trouvons ! Une pomme, quelques biscuits et une boîte de pseudo « Vache qui rit ». Inutile de faire les difficiles dans ces épiceries locales. L’épicier, via Google Translate, tente de nous traduire les inscriptions de ces jolies cartes avec leurs rubans entrelacés qui nous intriguent depuis quelques jours. Il s’agit de cartes de félicitations que l’on offre à l’occasion de mariages ou autres célébrations. Ce petit monsieur charmant nous fait un discount faute de monnaie et nous offre deux « buns » au fromage comme o’settai.
Le cap Muroto ou la fin de la Phase d’Eveil
Nous atteignons donc, après plus de 70 kms et deux jours et demi d’effort le long de cette 55 pas très hospitalière, le temple 24 qui domine le cap Muroto, cap extrême de l’île.
Nous venons de longer la côte à droite sur la photo, nous avons grimpé la pente pour arriver au temple, tout en haut de la bosse, puis, après avoir rendu hommage au temple, nous redescendrons aussitôt en bord d’océan pour continuer le chemin (la route en fait) sur la côte, à gauche sur la photo.
Avant d’entrer dans la deuxième phase de ce pèlerinage, celle de la Discipline ou de l’Ascèse, visitons le Temple qui nous accueille.
Le temple 24 – Temple Hotsumisaki-ji
Mais tout d’abord, comme d’habitude, il faut gravir une belle volée de marches avant de franchir le flamboyant portique d’entrée vermillon et vert du 24 ème temple, le Temple Hotsumisaki-ji, édifié sur le lieu même où Kukai eut la révélation de sa destinée de moine bouddhiste à l’âge de 17 ans. Nous avons d’ailleurs fait un stop auparavant devant la grotte où il eut cette illumination. Au pied du temple, se dresse une statue monumentale de Kobo Daishi.
Quel plaisir de retrouver l’atmosphère paisible de ces temples après nos trois jours d’abstinence, ainsi que le rite des tampons sur notre livre de pèlerins. Un groupe de femmes devant le temple principal récite leur sutra rythmé par le goeika-set du moine qui les accompagne, une clochette et deux petits bâtons que l’on frappe l’un contre l’autre.
Nous redescendons par une route sinueuse qui dégringole littéralement vers la côte battue par les vagues du Pacifique et malheureusement complètement bétonnée.Notre auberge du soir se trouve quelque part au fond de cette vue.
Depuis de nombreux kilomètres, l’océan est bordé d’une énorme digue de béton bien hideuse, protection contre les éventuels tsunamis. Des panneaux indiquent régulièrement à quel niveau au-dessus de la mer on se trouve. Leur dessin très explicite de personnage s’enfuyant indiquent les issues d’évacuation en direction de la montagne toute proche si un tsunami est imminent.
Tentative de sauvetage d’un gros poisson rouge tombé du ciel
Nous partageons notre pique-nique frugal sur une plage de rochers où je tenterai vainement de sauver un énorme poisson qui, lâché sur la plage sous nos yeux par une grosse mouette et échoué hors de l’eau, gigotait désespérément. Pauvre bête.
Puis nous rencontrons Jasper, irlandais, journaliste-photographe baroudeur qui fait ce pèlerinage de manière rustique. Dormir dehors ne lui fait pas peur, bien au contraire ! Il marche à grands pas et rapidement je me fais distancer, le laissant filer devant en grande conversation avec Bernard. Nous le retrouverons au petit supermarché suivant où nous partagerons café et chocolat. Ces retrouvailles sont toujours de belles parenthèses amicales.
L’abri anti tsunami, un parking en hauteur pour les habitants
Les petits ports se succèdent et tous les 200 mètres se dressent ces panneaux d’évacuation en cas de tsunami. Ici la montagne est au pied des villages et constitue une zone naturelle de refuge sécuritaire. Plus loin, lorsque la plaine côtière est plus étendue, des abris ont été construits qui, hors contexte, paraissent totalement incongrus. Cela ressemble à un parking à étages, une tour métallique ouverte avec une rampe-escalier qui permet aux gens de se hisser sur des plateformes pouvant contenir chacune quelques centaines de personnes sans doute. Pour résister à la puissance des vagues de ce type d’évènements on imagine la robustesse de ce genre de construction.
Poisson cru pour le goûter chez le poissonier
Dans un des derniers villages côtiers traversés avant notre destination, nous restons scotchés devant une poissonnerie où toutes sortes de poissons bien frais à l’œil encore vifs, étiquetés de noms énigmatiques pour nous, reposent dans des grandes cagettes de polystyrène. En arrière-plan, quelques ouvrières œuvrent à découper tout cela. Nous sommes fascinés et notre intérêt manifeste nous vaut un o’settai de circonstance : une barquette de sashimi ! Cela tombe très bien, c’est l’heure du goûter ! Un vrai régal ce poisson cru à peine sorti de l’eau. En fait, je me nourrirais bien exclusivement de sashimi dans ce pays !
Nous voilà boostés de protéines pour affronter la volée de marches bien raides qui permet d’accéder à notre temple du soir. Ces escaliers de pierres sont superbes. La hauteur des marches est cependant totalement disproportionnée par rapport à la taille du japonais moyen et de moi-même en particulier.
Il est 17h lorsque nous franchissons le portique d’entrée, nous sommes en marche depuis ce matin 7h30. C’est le profil habituel de nos journées, 10 heures dehors.
Le temple 25, Temple Shinsho-ji, Port de Lumière
Le Shinsho-ji, Port de Lumière a pour hondo Jizo, plus précisément Kari-tori-Jizo, protecteur des pêcheurs. La légende raconte qu’un seigneur local aurait été sauvé d’un naufrage en évoquant Jizo.
Nous sommes les derniers visiteurs de la journée et le moine nous ayant tamponné notre nôkyôchô nous met sur le chemin du shokubo, en retrait du temple, caché dans un superbe jardin arboré.
Un hébergement cinq étoiles à l’hôtel du temple
Le lieu est tout à fait à la hauteur de sa réputation, idyllique. Nous héritons d’une belle et grande chambre tatami dominant la côte, avec cerisiers et magnolias en fleurs devant notre fenêtre. Et afin de jouir de cette vue, une table et deux petits fauteuils siègent en bordure de la grande baie vitrée. Au centre de la pièce, comme d’habitude, une table basse avec le coffret pour le set de thé et deux coussins au ras du sol se faisant face. Futons et couvertures sont pour l’instant bien pliés devant les portes coulissantes des placards muraux. Une jolie peinture-rouleau et un bouquet de fleurs blanches décorent l’alcôve-prière où trône tout de même également une télé !
Quel plaisir de se poser dans ce lieu sophistiqué et douillet malgré la fraicheur de l’air ambiant. En effet le chauffage n’est pas la priorité de ces auberges, quel que soit leur standing ! On en apprécie que d’avantage le thé offert et sa petite pâtisserie suivi du bain chaud du furo, qui est ici à l’image du lieu, à l’esthétique épurée.
Avec un vrai dîner gastronomique en prime !
Oh surprise! Il y a un petit retard de timing dans l’heure du dîner car à 18h, lorsque nous nous présentons, les portes de la salle à manger sont closes. Pourtant déjà tous les japonais sont là en yukata. Ce soir nous sommes nombreux, mêlés aux pèlerins venus en bus ou voiture.
Le dîner est un vrai festin gastronomique avec une succession impressionnante de plats : sashimis, anguille sur un lit de riz, flan salé aux algues, tempuras, soupes, fondue japonaise, le tout superbement présenté et d’une grande finesse gustative. Nous aurons même au dessert des morceaux d’orange et de pommes, à noter car d’habitude les fruits sont inexistants dans nos menus du soir. La table est commune, une longue table rectangulaire, impressionnante. Nous sommes placés au bout, nos compagnons de table sont trois amis japonais faisant le pèlerinage en voiture, sympathiques, attentifs et volubiles.
Comme d’habitude, succès assuré lorsque nous révélons que nous sommes furansu jin et haruki henro. Nous leur demandons s’ils mangent chez eux ainsi tous les jours. Ils nous répondent à grands cris que non ! La restauration de ce temple, nous disent-ils, est particulièrement réputée et ils peuvent recevoir jusqu’à cent personnes. Nous irons féliciter la cuisinière en chef venue nous annoncer en fin de repas que la « messe » demain matin sera à 6h…. Cela semble le programme obligé. Bernard a l’intention d’y aller, moi pas, je tiens à profiter pleinement au confort de notre belle chambre.
Petit lexique
- furo : bain japonais. Ce mot désigne la baignoire et, par extension, la salle de bains
- goeika-set : ensemble d’une clochette et de deux petits bâtons que l’on frappe l’un contre l’autre en faisant ses prières.
- haruki henro : pèlerin à pied
- henro : pèlerin
- o-settai : offrande donnée aux pèlerins autant pour les honorer que pour représenter le donateur au cours du pèlerinage
- shukubo: auberge pour pélerins rattachée au temple
- yukata : léger vêtement d’été, en coton, porté par les hommes et les femmes. Communément utilisé à l’intérieur, comme un peignoir, en sortie de bain comme pour dîner.
Quelques mots sur l’auteur / autrice
Le 20 mars 2019, Catherine, co-fondatrice de CouleurSenior, s’engageait avec son mari dans une longue marche, le Pèlerinage de Shikoku, une île au sud du Japon. Ils ont 63 ans chacun, n’ont jamais vécu au Japon, ne parlent pas japonais, ne sont pas bouddhistes. Bien que marcheurs réguliers, ils ne se sont jamais lancés sur une si longue distance : 1 200 km sur un circuit historique de 88 temples. Dans cette période actuelle de confinement, Catherine nous a proposé de partager au jour le jour leur aventure, physique, culturelle et spirituelle. Exactement un an après, suivons leurs pas et découvrons avec eux cette île et le quotidien des pèlerins dans un monde inconnu. Atteindront-ils le Nirvana promis aux pèlerins qui atteignent le quatre-vingt-huitième temple ? Nous le découvrirons au fil des jours à venir ….