9 mai – J51 – 23 kms
Nous quittons nos gentilles hôtesses avec nostalgie…
Afin de respecter la tradition du kechigan et boucler ce pèlerinage en revenant au point de départ initial, nous avons devant nous deux journées de marche. Ce qui donne un aspect circulaire à cette pérégrination. Le cercle représente l’infini, la perfection, l’absolu, le divin, l’élévation…. « Nous sommes censés ainsi, à l’image de la roue de la vie avec ses cycles de morts et de renaissances entrer dans un renouveau avec un surcroît de conscience. Celui qui revient au temple 1 est à la fois un autre et plus profondément lui-même… »
Pour l’instant, je manque totalement de conviction à l’aube de cette journée de marche. Un sentiment de tristesse m’envahit à la pensée de la fin prochaine de ce voyage étonnant et en même temps j’ai hâte de franchir à nouveau le seuil du Ryozen-ji.
Les journées sans temples ont toujours été des jours un peu incomplets et là, la page du temple 88 tournée, nous le ressentons avec d’avantage d’acuité encore.
Et le chemin continue …
Nous quittons la montagne et retrouvons la plaine côtière. Notre hôtesse nous a préparé des onigiris et des œufs durs, nous complèterons ce pique-nique par du chocolat acheté en route à une petite mamie qui m’offre en échange un paquet de biscuits et deux canettes de boisson ! Encore une qui ne sera jamais riche… Mais vu l’état de sa boutique et son grand âge, effectivement il n’y a plus grand espoir de ce côté-là !
Bref, une journée de transition émaillée d’un stop « Agrumes » dans une boutique de bord de route où le vendeur a eu la bonne idée de recycler son salon similicuir à côté de sa boutique,
un petit bonjour à de pauvres vaches enfermées et quasiment ligotées dans une étable bien rustique,
des chemins forestiers pour franchir le col,
une halte régénératrice dans un temple secondaire absolument désert
avant de retrouver le bitume et la petite ville d’Hiketa où nous dormirons ce soir.
Mais pour l’instant, nous errons à la recherche de notre auberge. En fait nous sommes passés devant sans que l’idée nous ait effleurés que notre minshuku pouvait être cette maison aussi peu attrayante !
Mais un petit mot en anglais à notre nom est accroché à la porte, elle-même non fermée à clef. Personne dans les lieux, nous en profitons pour jeter un coup d’œil curieux à l’ensemble de la maison qui s’avère à l’image de l’extérieur, moche et sale !
Visite d’une fabrique de sauce soja à l’ancienne
Nous repartons donc aussitôt nos sacs déposés pour aller visiter la fabrique de « soy sauce » repérée par Bernard lorsque nous errions à la recherche de notre hébergement. Le Sanshu Izutsu Yashiki est un vieil établissement marchand datant du XVIIème siècle produisant depuis une sauce de soja réputée selon une méthode artisanale se transmettant de génération en génération. On y accède par un vieux pont de bois peint en rouge et la fabrique elle-même est installée dans une maison toute en bois au charme suranné irrésistible. Nous testons quelques échantillons de cette fameuse sauce, pilier de la gastronomie japonaise mais sincèrement, on n’y entend rien en la matière. Le lieu est fort sympathique et offre également une zone restauration.
Suivie du musée local et de son jardin zen
Puis nous déambulons au hasard dans le village et rapidement nous sommes abordés par un monsieur élégamment vêtu qui gentiment nous ouvre les portes d’un petit musée local installé dans une demeure datant de 300 ans. Nous avons droit à quelques explications un peu obscures pour nous, mais très poliment nous suivons notre guide de pièce en pièce, le sourire et l’air le plus entendu possible… pour aboutir dans un patio où il semble de bon ton de s’extasier devant un arrangement végétal type jardin zen sans doute exceptionnel.
Bref, notre guide, soit ne sait plus comment nous congédier, soit ne veut pas nous lâcher… impossible à savoir… cela fait partie des grands mystères des relations sociales dans ce pays. Il nous conduit ensuite dans une fabrique artisanale de gants qui jouxte le musée. Sans doute aurions-nous du acheter quelque chose en ces lieux faisant l’effort de promouvoir l’artisanat ancestral local… mais lorsqu’on voyage à pied, chaque gramme est compté et on apprend très vite à limiter ses envies en matière de superflu.
Déceptions à l’auberge du soir
Retour donc à notre minshuku du soir où nous attend son propriétaire, un vieux japonais tout mielleux qui d’emblée m’exaspère. La salle de bain est un réduit où l’on a guère envie de s’éterniser et il est hors de question de se tremper dans le furo, une baignoire ridicule à l’eau douteuse… nous nous contenterons d’une douche rapide.
Quant au dîner, c’est la cerise sur le riz !!! Même Bernard qui d’habitude mange tout ce qui lui est proposé et m’engueule parce que je fais la difficile, ce soir est très fâché. Les sempiternels classiques du menu kaiseki ryori, multitudes de petits plats la plupart froids et, ici sortis direct du frigo, sont immangeables.
Kaiseki ryôri, un art japonais
A l’origine, « .. la Kaiseki ryôri est l’art de la gastronomie et de la sophistication porté à son summum. Il ne s’agit pas seulement d’un menu extrêmement fin et varié en termes de goût, c’est aussi une véritable composition de formes, de textures et de couleurs. Un repas de cette cuisine somptueuse est traditionnellement composé d’une succession de petits plats, tous différents en termes d’ingrédients, de cuisson et de présentation.
S’il n’y a pas de menu fixe dans un repas de la Kaiseki ryôri, il y a tout de mêmes des règles à respecter. Tout d’abord, les ingrédients utilisés doivent naturellement être de la premièrere fraîcheur et de saison, conformément aux bases de la cuisine japonaise traditionnelle. Les préparations, héritées de l’art de la cuisine bouddhique, sont souvent à base de légumes et de tofu – mais le menu entier ne sera pas nécessairement végétarien. On trouvera des sashimi, des bouillons à base de viande… Le chaud et le froid seront également alternés, tout comme les textures servies. »
En fait, seuls les restaurants spécialisés, les auberges traditionnelles et les grands hôtels servent maintenant ce type de repas. Ce fut le grand classique de nos dîners durant ce pèlerinage, plus ou moins réussis selon les soirs et j’avoue que je suis en état de saturation de ces menus quasi identiques au quotidien depuis 50 jours.
Puis discussions sur un départ matinal
La rombière en cuisine, sans doute l’épouse de notre hôte n’a pas l’air commode du tout, on n’a jamais dû lui apprendre à sourire. Quant à son mari qui fait le service, mielleux à souhait, il se plante devant nous comme s’il surveillait ce que nous mangions. Avec moi il n’est pas déçu, à part le riz, j’ignore tout le reste. Les tempuras réchauffés sont inconsommables.
En fin de repas, j’entrevois notre pseudo cuisinière, sortir les plats en prévision du petit déjeuner qui sera donc de même nature que ce soir. Nous en concluons qu’il vaut mieux éviter et annonçons à notre hôte que nous partirons demain matin très tôt et en conséquence nous annulons le petit-déjeuner ! A sa tête, nous comprenons que notre décision jette une certaine confusion. Il s’empresse de téléphoner et me tend le combiné. La personne au bout du fil m’explique en anglais que le petit déjeuner était réservé et donc préparé… sous-entendu nous devons le régler… pas de problème, nous payerons, c’était prévu et nous n’avions même pas pensé ne pas le payer ! Voilà notre hôte rassuré et nous soulagés.
Notre voisin de table, un monsieur japonais très discret et pas très causant qui était aux mêmes auberges que nous ces deux derniers jours ne semble pas partager nos préoccupations. Il engloutit tout ce qui lui est proposé et part se coucher sans un mot, sans un regard.