10 avril – J22 – 28 kms – Mima Ryokan/ Umibozu Lodge
La journée commence mal, il a plu une bonne partie de la nuit et ce matin il pleut encore lorsque nous nous apprêtons à quitter notre ryokan. D’ailleurs, nous avons un peu de mal à nous décider à démarrer. Hiroyasu, notre gentil japonais qui m’avait offert une orange hier au sommet du col, nous emboîte le pas sur la route 56 où nous sommes régulièrement et abondamment aspergés par les projections des camions qui nous doublent sans scrupule aucun pour les haruki-henro que nous sommes et qu’ils ne remarquent sans doute même pas. Il ne faut pas longtemps pour que nos pantalons et chaussures soient trempés !
Mais que faisons-nous sur cette route super-passante à marcher sous la pluie ??!! Je me demande bien pourquoi nous ne sommes pas restés au chaud, douillets dans notre beau ryokan.
La pluie, les premiers serpents et le réconfort du LAWSON !
Nous abandonnons enfin cette maudite voie 56 pour un sentier de montagne où nous sommes au moins à l’abri des feuillages des arbres. Mais, horreur, deux serpents sur le chemin, le premier mort, le second bien vivant, des serpents noirs qui m’épouvantent. Bernard prend la tête, Hiroyasu nous a quittés lors d’une halte. Décidemment, c’est mon jour ! Mais « que suis-je venue faire dans cette galère ? »
La pluie se calme enfin, et après 17 kilomètres, nous apercevons une de mes enseignes préférées : un LAWSON ! Nous y achetons notre déjeuner, que nous consommons illico sur le banc devant la boutique en bord de route. Nous sommes devenus de vrais pèlerins et plus du tout des randonneurs qui auraient eu soin de se trouver un coin sympa pour pique-niquer ! Chaque jour je peaufine les subtiles différences de ces deux concepts de marche.
Pas de plage, mais une très belle côte rocheuse
Nous retrouvons enfin l’océan, un océan bien tourmenté avec ces éclats de belle écume blanche s’écrasant sur les rochers. Ainsi pouvons-nous faire abstraction du bruit de la circulation couvert en partie par le déferlement des vagues.
Nous longeons pour un temps un superbe jardin public qui descend en pente douce vers l’eau, parsemé de quelques cerisiers en fleurs. Et voilà en bonus le retour du soleil qui sèche rapidement nos pantalons mais pas nos chaussures ni les chaussettes…
Je sens une belle ampoule qui se prépare, alors que je marche depuis trois semaines sans problème de ce genre en dehors de deux petites les deux premiers jours qui ont rapidement disparu.
Le cap Ino-Masaki
Nous terminons en beauté nos 30 kilomètres de la journée en contournant le cap Ino-Misaki par une petite route au ras de l’eau complètement déserte, sous un beau ciel nuageux d’après la pluie.
Nous nous verrions bien propriétaires d’une petite maison avec terrasse en ce lieu oublié et reculé dominant l’océan, où nous prendrions tous les soirs l’apéro en contemplant le coucher de soleil. Mais en guise de maisonnette charmante, nous longeons des bâtiments délabrés, abandonnés où git du matériel de construction en train de rouiller. Shikoku n’a vraiment pas su développer le tourisme…
Pas un seul bateau de plaisance dans tous ces ports traversés, seulement des embarcations de pêche, et les rares plages de surf que nous avons longées n’étaient guère construites. A Shikoku, on bosse ! Soit on pêche, soit on cultive. Le concept loisir semble totalement absent. Est-ce dû au risque de tsunami que ces côtes, que nous remontons depuis des centaines de kilomètres, soient si peu exploitées ? On a l’impression qu’ils sont un peu paranos sur la question parfois… Mais bien sûr lorsqu’on a vécu une fois ce type de drame, on s’en souvient irrémédiablement !
Chambre avec vue et avec instructions en cas de tsunami
Notre minshuku, un peu prétentieusement appelé lodge, n’a ni le charme ni la sophistication de celui d’hier soir mais l’accueil y est comme souvent tellement chaleureux, spontané et touchant. Nous avons en prime une chambre qui donne direct sur l’océan, ce soir nous nous endormirons avec le doux bercement des vagues. En attendant nous lisons avec attention la notice des mesures à suivre en cas de tsunami, fort heureusement traduite en anglais.
Après le dîner, nous aurons, grâce à Google-Translate, une grande conversation avec nos trois compères de table, Hiroyasu, personnage très discret et adorable que nous avons retrouvé et Makoto que nous avions déjà rencontré il y a quelques jours, accompagné par un ami. Makoto nous dit avoir une cousine vivant à Paris depuis 40 ans. Il semble tout excité de parler avec nous. Nous échangeons nos projets d’itinéraire pour les jours à venir. Il semblerait que notre road-book offre d’avantage d’options que leur guide japonais.
Je suis, ce soir, comme souvent, la seule femme ! Tous ces vieux japonais, haruki-henro comme nous, ont laissé apparemment bobonne à la maison. Et je suis la seule qui ne soit pas en yukata ! En fait ces tenues du soir, invariablement proposées dans toutes les auberges et scrupuleusement utilisées par les japonais dès la sortie du furo, sont en général bien trop grandes pour mon petit gabarit et pas assez chaudes au goût de mon métabolisme.
Quelques mots sur l’auteur / autrice
Le 20 mars 2019, Catherine, co-fondatrice de CouleurSenior, s’engageait avec son mari dans une longue marche, le Pèlerinage de Shikoku, une île au sud du Japon. Ils ont 63 ans chacun, n’ont jamais vécu au Japon, ne parlent pas japonais, ne sont pas bouddhistes. Bien que marcheurs réguliers, ils ne se sont jamais lancés sur une si longue distance : 1 200 km sur un circuit historique de 88 temples.
Dans cette période actuelle de confinement, Catherine nous a proposé de partager au jour le jour leur aventure, physique, culturelle et spirituelle. Exactement un an après, suivons leurs pas et découvrons avec eux cette île et le quotidien des pèlerins dans un monde inconnu. Atteindront-ils le Nirvana promis aux pèlerins qui atteignent le quatre-vingt-huitième temple ? Nous le découvrirons au fil des jours à venir ….