02 avril 2 – J14 – 33 kms, 600m D+ et D- Temple 27
Comme prévu, nous montons au temple 27 en mode léger, 600 mètres de dénivelé tout d’abord par une petite route longeant des rizières en terrasses, puis l’ascension se poursuit par un sentier bien abrupt dans la forêt. Comme en Chine, ici on monte en ligne directe.
Le Temple Konomine-ji, Pic des Dieux, Temple 27
Stimulés par un vent très froid, malgré le grand soleil, nous grimpons d’un bon pas pour atteindre 45 minutes plus tard le ravissant temple Konomine-ji, Pic des Dieux, niché dans la verdure. Nous semblons être les premiers visiteurs du matin, il règne en ces lieux un calme absolu.
Nous poursuivons notre ascension vers un « Park view » annoncé à 700 mètres. 150 mètres de dénivelé supplémentaire, à la verticale, avec des marches d’une hauteur démente sur un sentier qui ne semble guère pratiqué si on en juge la végétation qui l’envahit et on comprend pourquoi. Parvenus au sommet, il nous faut encore grimper les marches d’une tour pour se hisser au-dessus de la canopée mais, de là-haut, tous nos efforts matinaux sont récompensés.
Une vue à 360° nous est offerte, à gauche, toute la côte d’où nous venons, à droite celle où nous allons s’étend loin, très loin. Au large, l’océan dans toute son immensité et, côté intérieur, se succèdent les montagnes baignant dans une belle teinte bleutée. Mais le vent est glacial, nous ne nous éternisons pas d’autant plus que nous avons beaucoup de route à faire aujourd’hui. Nous repassons par le temple afin de récolter notre carnet de tampons avec sa calligraphie rituelle et nous entamons une descente rapide vers notre minshuku pour récupérer nos sacs où nous accueillent le clown de service et la cuisinière. En fait ils nous attendaient pour lever le camp mais très gentiment n’en laissent rien paraitre. Ces gens sont adorables.
Pique nique au bord de l’océan pacifique
Nous quittons rapidement la 55 pour cheminer sur un chemin de digue et une piste cyclable encore et toujours en bordure d’océan. Ce dernier nous accompagne depuis plus de 200 kilomètres, fidèle compagnon de notre cheminement sur bitume. Merci à Toi, Beau Pacifique qui par ta simple vue allège nos pas et nos efforts !
Mais voici une de mes enseignes fétiches : Lawson ! À point nommé pour notre ravitaillement pique-nique : sandwich jambon-fromage-pain de mie bien occidental pour moi, le genre de chose que je n’achèterai à aucun prix en France et qui s’avèrera effectivement dégueulasse avec en prime une mayonnaise rosée synthétique à l’intérieur. Bernard, sagement reste dans le local avec des onigiris, version nature, donc une boule compacte de riz et rien que du riz ! De quoi plomber l’estomac ! En dessert ce sera un pancake fourré à la pâte de haricot rouge. Nous dégustons tout cela, y compris nos délicieuses tomates bien juteuses achetées dans une cabane en libre-service en bord de route, assis sur le muret de la digue.
O’settai de sablés au beurre !
Quelques mètres plus loin, des japonais prennent leur bento dans leur voiture et font la sieste. Soudain, une camionnette s’arrête à notre niveau et son conducteur nous baragouine quelque chose en souriant et nous tend trois paquets de biscuits. Nous choisirons les sablés au beurre selon la recommandation de ce gentil monsieur qui semble avoir dans sa voiture toute une réserve d’o’settai pour les pèlerins.
A peine repartis, nous passons devant un restaurant faisant face à l’océan, dommage, nous aurions pu y déjeuner. Depuis 15 jours que nous marchons, c’est le premier restaurant sur notre chemin. Souvent nous avons vu des panneaux annonçant un café mais, soit l’établissement était fermé, soit il n’existait plus.
Le village d’Aki et sa si sympathique pâtissière
Notre chemin de henro se poursuit sur une promenade de digue aménagée. L’ensemble de la côte est ainsi défigurée par cet énorme mur de béton absolument hideux mais le plus souvent il s’avère impossible de longer le chemin en contre-bas car il est envahi par la végétation et donc impraticable. Nous parvenons ainsi à Aki, petite ville aux allures cossues comparée à tous ces villages plutôt misérables que nous avons traversés ces derniers jours. Les maisons sont charmantes, les boutiques nombreuses, variées et ouvertes et il y a du monde dans les rues, la vie normale quoi ! Il y a même une pâtisserie à la devanture très alléchante avec toutes sortes de petits gâteaux aux emballages très sophistiqués, ouverte sur la rue.
Nous prenons quelques photos après avoir demandé l’autorisation à la vieille dame surgie du fond de la boutique, puis choisissons trois petits gâteaux et au moment de payer, rien à faire ! Nous comprenons que c’est o‘settai ! le 3ème de la journée. Et en plus elle rajoute un paquet de biscuits et me glisse une pièce de monnaie dans la main, se fend de maintes courbettes et paroles de recommandation sans doute, le classique Kio tsukete (prenez soin de vous). Inouï ! Voilà la considération à l’égard du pèlerin à pied à Shikoku, le plus souvent de la part de personnes âgées. Nous nous posons sur un banc quelques mètres plus loin pour déguster nos pâtisseries locales qui sont excellentes.
Soudain, Bernard me fait remarquer que nous avons oublié de donner à cette gentille dame notre osame-fuda, ces bandelettes de papier où l’on inscrit son nom et la date, et que l’on dépose dans les urnes devant les temples. On les donne également en guise de remerciement à ceux qui nous offrent des o-settai. Nous n’avons pas encore acquis les bons réflexes. Je retourne donc vers la pâtisserie avec mon feuillet où nous avons préalablement écrit notre nom et un petit mot amical. Ma vieille grand-mère pâtissière le reçoit comme si je lui offrais un cadeau princier ou plutôt comme si je lui remettais le Saint Esprit en personne ! Les deux mains tendues comme il se doit en signe de respect et la voilà repartie dans ses courbettes, m’accompagnant jusque sur le trottoir. J’avoue que cette rencontre restera un moment clef de notre voyage, privilège inestimable des haruki henro que nous sommes sur cette île si attachante. Au prochain temple, nous déposerons sa pièce de 500 yens en offrande.
Nous recevons le quatrième et dernier o-settai de la journée sur la piste cyclable que nous suivrons une bonne partie de l’après-midi : deux paquets de bonbons offerts par une dame occupée dans son jardin à notre passage.
Une fin de journée un peu longue …
Mais à force de s’arrêter, de prendre des photos, nous avons un peu sous-estimé notre temps de marche. Soudain nous sommes en dessous d’un immense viaduc accueillant une voie ferrée et, sur plus d’un kilomètre, notre chemin jalonne une déchetterie à ciel ouvert ! De quoi nous inciter à presser le pas !
Nous retrouvons la plage, les couleurs du soir sont magnifiques mais je suis épuisée, les derniers kilomètres me semblent interminables.
Il est 19h et la nuit est tombée lorsque nous parvenons enfin à destination. L’heure du dîner est largement passée mais nous sommes accueillis avec beaucoup de gentillesse et de bienveillance. Notre auberge est une petite maison face au port, sans charme particulier extérieurement, mais l’atmosphère intérieure y est chaleureuse et spontanément on s’y sent bien. Notre chambre à l’étage, bien douillette, donne direct sur le port. Même les yukatas sont ravissants, toujours parfaitement repassés, empesés et pliés à plat.
Et si nous nous accordions une journée de repos ici ? Attendons de voir à quoi ressemble le dîner…
Il est délicieux !
Donc journée de break décidée avec l’accord de notre hôtesse. Après tout, voilà 14 jours que nous marchons et nous avons parcouru 322 kilomètres sans nous arrêter un jour.
Petit lexique
- bento :repas pour une personne, à emporter. Très souvent emballé dans une jolie boîte, la bento box. Fourni avec baguette et sauce.
- haruki henro : pèlerin à pied
- henro : pèlerin
- Kio tsukete: expression très utilisée pour dire « prenez soin de vous ».
- minshuku : équivalent japonais de la chambre d’hôte, le minshuku est un établissement familial dont les chambres, louées à la clientèle font partie intégrante de la maison.
- ohayo gozaimasu : expression polie et commune pour dire « bonjour » le matin avant midi.
- onigiri : boulette de riz, souvent enveloppée ou accompagnée d’une algue.
- osame fuda : bande de papier sur laquelle est imprimée une représentation de Kukai accompagnée du texte « En voyage avec Daishi sur les 88 temples de Shikoku ». Le pèlerin y inscrit son nom et son domicile. Existe en plusieurs couleurs suivant le nombre de pèlerinage effectués.
- o-settai : offrande donnée aux pèlerins autant pour les honorer que pour représenter le donateur au cours du pèlerinage.
- yukata : léger vêtement d’été, en coton, porté par les hommes et les femmes. Communément utilisé à l’intérieur, comme un peignoir, en sortie de bain comme pour dîner.
Quelques mots sur l’auteur / autrice
Le 20 mars 2019, Catherine, co-fondatrice de CouleurSenior, s’engageait avec son mari dans une longue marche, le Pèlerinage de Shikoku, une île au sud du Japon. Ils ont 63 ans chacun, n’ont jamais vécu au Japon, ne parlent pas japonais, ne sont pas bouddhistes. Bien que marcheurs réguliers, ils ne se sont jamais lancés sur une si longue distance : 1 200 km sur un circuit historique de 88 temples.
Dans cette période actuelle de confinement, Catherine nous a proposé de partager au jour le jour leur aventure, physique, culturelle et spirituelle. Exactement un an après, suivons leurs pas et découvrons avec eux cette île et le quotidien des pèlerins dans un monde inconnu. Atteindront-ils le Nirvana promis aux pèlerins qui atteignent le quatre-vingt-huitième temple ? Nous le découvrirons au fil des jours à venir ….
Un récit enchanteur ! oui , quelle découverte merveilleuse , émouvante pour vous deux sans doute , mais pour moi aussi ; je suis un lecteur attentif, notamment ébahi , voire subjugué par ce peuple capable d’un tel accueil en présence d’inconnus , qu’ils ne reverront jamais ……cela laisse pantois….. merci