01 avril – J13 – 24 kms
Ce matin, Bernard s’est levé aux aurores pour aller à Mâtines ! Je suis restée au chaud sous la couette… Je le laisserai un jour raconter son expérience des « mâtines » bouddhistes.
C’est par un temps radieux dans une belle lumière matinale que nous nous mettons en chemin après cette pause luxueuse et bienfaitrice. Il fait froid ce matin, j’apprécie mon bonnet, mes gants et mon écharpe polaire.
Campagne de théiers, néfliers, camélias et cerisiers
Notre chemin champêtre est à l’image de celui que nous voudrions avoir tous les jours ! Bordé de plantations de théiers et de néfliers. Ils enrobent les fruits en maturation dans des poches de papier de couleur orangée, ce qui donne un petit air d’arbre de Noël à ces arbres, sans doute pour les protéger des oiseaux (photos ci-dessous) . Depuis le début de ce voyage, nous avons vu beaucoup de néfliers, Shikoku en fait est un immense jardin potager, de vergers d’agrumes, de champs de théiers et de néfliers. La végétation est un mélange de type méditerranéen et subtropical. Depuis hier, apparaissent les bougainvillées.
En arrivant, il y a déjà deux semaines, ce sont les camélias en fleurs qui nous ont accueillis, ils sont d’ailleurs omniprésents ici, dans les jardins, dans les forêts, au bord des routes, puis les cerisiers ont fleuri, les fameux sakuras sont apparus, souvent plantés le long de cours d’eau ou de rivière, donnant lieu à des allées de promenade ombragées de fleurs rosées où des nuées de pétales se déposent délicatement à la surface de l’eau.
Un beau village de maisons traditionnelles
Notre ravissant sentier malheureusement ne dure que le temps de la descente et nous revoilà sur le bitume mais toujours en bord d’océan jusqu’au village de Kiragawa où s’alignent le long de la rue principale de ravissantes maisons traditionnelles en bois. Ces vestiges de l’habitat traditionnel du passé sont malheureusement rares. Et dire qu’autrefois le Japon entier ressemblait à cette rue, même Tokyo jusqu’à l’aube de la deuxième guerre mondiale était une ville tout en bois. Les bombardements ont eu raison de ces quartiers traditionnels. Aujourd’hui, ils construisent du fonctionnel qui ressemble à des maisons en « plastique ».
Campagne électorale en cours
Nous assistons là à un échantillon de campagne électorale. Depuis le début de notre périple, nous avons eu droit à ces affiches de candidats et, de temps en temps, nous étions doublés par des véhicules divulguant des messages au haut-parleur. La première fois, n’y comprenant rien, nous avions cru à une alerte « tsunami » mais à la vue du sourire béat des occupants du véhicule et l’indifférence absolue des passants de la rue, nous en avions rapidement conclu qu’il devait s’agir d’autre chose. Effectivement, c’est ainsi que les candidats font leur campagne électorale. Des voitures avec le candidat à bord ainsi que des sortes de « pompoms girls » vêtues de la couleur du parti agitant leurs mains gantées de blanc à la fenêtre en guise de bonjour sillonnent le coin, passent et repassent, un haut-parleur diffusant le sempiternel même message saturé du classique ohayo gozaimasu.
A la sortie du village, ce matin, un de ces véhicules est à l’arrêt, le candidat en costume noir, la poitrine scindée d’une banderole aux couleurs de son parti, un micro à la main, au milieu de la rue, fait en direct sa propre propagande. Surprise, c’est le candidat le plus affiché de notre parcours, une célébrité sans doute. Trois pelés l’écoutent mais cet auditoire succinct ne semble guère le troubler. Son speech terminé, il court serrer la pince des trois mamies assises sur leur devant de porte quelques mètres plus loin et remonte aussitôt dans sa voiture avec ses comparses vêtus de rose.
Le cortège poursuit son chemin, le haut-parleur braillant à nouveau son message. On dirait le circuit du Tour de France, les vélos en moins. Tout à fait cocasse !!! Heureusement que nous échappons à ce genre de campagne électorale en France ! Mais ces véhicules ont rapidement repéré les deux pèlerins étrangers que nous sommes et à chacun de leur passage, nous avons droit à de grands bonjours auxquels nous répondons avec autant d’enthousiasme.
Cimetières en campagne
Nous alternons ensuite la Route 55 en bord d’océan et des petites déviations traversant les villages, petits bourgs quasi sinistrés, habités seulement, semble-t-il, par des personnes âgées. La jeunesse a certainement déserté ces campagnes rustiques et misérables pour les lumières et la modernité des villes. Nous quittons pour un temps le bord de mer pour l’intérieur des terres et franchissons un col, ce qui nous permettra de pique-niquer tranquilles, loin de la circulation, sur les bords d’un chemin, à proximité d’un cimetière familial.
L’île est truffée de ces petits cimetières privés, quillés au milieu d’un champ cultivé, tout près du lieu d’habitation. Morts et vivants se côtoient en toute simplicité dans ce pays, c’est touchant. Le col franchi, nous retrouvons la 55 côtière mais nous nous en échappons rapidement pour longer une grande plage. Une belle promenade pavée y a été aménagée avec des sortes de gradins. Pas mal de plages sont ainsi agencées. Un vent violent nous fait face mais quel plaisir d’échapper à cette fichue 55 qui n’en finit plus.
En traversant un village, nous passons devant une « fabrique » de poissons séchés en bord de route. Les poissons sont soigneusement rangés à plat sur des claies ou artistiquement et efficacement exposés à la verticale au soleil et au vent.
Il est parfois difficile de comprendre et se faire comprendre
Comme souvent, nous errons un peu avant de trouver notre minshuku du soir, pas de numérotation d’adresse au Japon et reconnaître le nom de notre auberge écrit en caractères reste un problème majeur. L’établissement est en bord de route, bien rustique et notre hôte me donne l’impression d’être un peu demeuré ! Il répète 3 ou 4 fois la même chose, cause, cause, alors que je ne cesse de lui dire wakarimasen ! (traduction : je ne comprends pas). Et en plus il parle avec un masque devant la bouche. Dans ce pays, la moitié de la population est masquée. Soit ils sont tous enrhumés soit ils sont assez naïfs pour croire que ce morceau de papier les protège de la pollution.
Bref Cati San et Tomo San, (cela semble lui plaire de répéter nos noms ainsi) s’installent dans la chambre Trois. Rien à voir avec hier soir… C’est aussi cela, Shikoku. Les hébergements se suivent et ne se ressemblent pas du tout question standing alors que les prix sont quasi équivalents partout. Mais le pèlerin s’adapte… Par contre même les auberges les plus rustiques et basiques offrent lave-linge et sèche-linge à pièces. Ce soir ces deux machines sont à l’extérieur sous un auvent.
Nous retrouvons quelques-uns de nos potes japonais croisés les jours précédents mais eux ont déjà fait l’ascension du temple 27. Nous ferons cela demain en laissant nos sacs au minshuku avant de poursuivre notre chemin. Rencontre sympathique avec un monsieur de 71 ans qui fait le pèlerinage à l’envers du T.88 au T.1, en passant également par une vingtaine de temples annexes.
Le furo étant occupé, nous faisons un petit tour sur la plage de galets et sable noir en face de l’auberge de l’autre côté de la route mais trop ventée pour qu’on s’y éternise. Le dîner est servi à 18h30, il y a du progrès ! Au menu, l’éternel plateau standard avec sashimi, soupe, tempura et riz. Inouïe, la quantité de riz qu’ils ingurgitent, même les chinois n’en consommaient pas tant. Bon, cette auberge ne restera pas dans les annales mais, comme d’habitude, nos hôtes débordent de gentillesse et, malgré la barrière de la langue, se mettent en quatre pour nous satisfaire.
Petit lexique
- furo : bain japonais. Ce mot désigne la baignoire et, par extension, la salle de bains
- haruki henro : pèlerin à pied
- henro : pèlerin
- minshuku : équivalent japonais de la chambre d’hôte, le minshuku est un établissement familial dont les chambres, louées à la clientèle font partie intégrante de la maison.
- ohayo gozaimasu : expression polie et commune pour dire « bonjour » le matin avant midi.
- o-settai : offrande donnée aux pèlerins autant pour les honorer que pour représenter le donateur au cours du pèlerinage
- sashimi : tranches de poisson frais à consommer cru. Pas de riz içi, il est réservé au sushi.
- tempura : beignets de légumes ou fruits de mer. Servis chauds, c’est un délice.
- sakura : cerisier japonais, réputé pour la splendeur de sa floraison
- yukata : léger vêtement d’été, en coton, porté par les hommes et les femmes. Communément utilisé à l’intérieur, comme un peignoir, en sortie de bain comme pour dîner.
Quelques mots sur l’auteur / autrice
Le 20 mars 2019, Catherine, co-fondatrice de CouleurSenior, s’engageait avec son mari dans une longue marche, le Pèlerinage de Shikoku, une île au sud du Japon. Ils ont 63 ans chacun, n’ont jamais vécu au Japon, ne parlent pas japonais, ne sont pas bouddhistes. Bien que marcheurs réguliers, ils ne se sont jamais lancés sur une si longue distance : 1 200 km sur un circuit historique de 88 temples.
Dans cette période actuelle de confinement, Catherine nous a proposé de partager au jour le jour leur aventure, physique, culturelle et spirituelle. Exactement un an après, suivons leurs pas et découvrons avec eux cette île et le quotidien des pèlerins dans un monde inconnu. Atteindront-ils le Nirvana promis aux pèlerins qui atteignent le quatre-vingt-huitième temple ? Nous le découvrirons au fil des jours à venir ….
Cet article est l’un des meilleurs articles sur lesquels j’ai lu:
Couleur Senior | Un pèlerinage à Shikoku – Jour 13
Bisous! 🙂