
Le 20 mars 2019, Catherine, co-fondatrice de CouleurSenior, s’engageait avec son mari dans une longue marche, le Pèlerinage de Shikoku, une île au sud du Japon. Ils ont 63 ans chacun, n’ont jamais vécu au Japon, ne parlent pas japonais, ne sont pas bouddhistes. Bien que marcheurs réguliers, ils ne se sont jamais lancés sur une si longue distance. 1 200 km sur un circuit historique de 88 temples. Dans cette période actuelle de confinement, Catherine nous a proposé de partager au jour le jour leur aventure, physique, culturelle et spirituelle. Exactement un an après, suivons leurs pas et découvrons avec eux cette île et le quotidien des pèlerins dans un monde inconnu. Atteindront-ils le Nirvana promis aux pèlerins qui atteignent le quatre-vingt-huitième temple ? Nous le découvrirons au fil des jours à venir ….
Mars 21, J2 – 20 kms – Temples 8, 9, 10, 11
Nous avons quelques petits problèmes pour faire fonctionner notre toute nouvelle carte SIM japonaise, il nous manque un document laissé à notre premier hébergement. Bernard repart donc en taxi au point de départ pour le récupérer et nous nous donnons rendez-vous au premier temple de la journée.
Temple 8, Kumadani-ji, la Vallée des Ours
Ce temple se trouve à seulement 4,2 kms. Je pars donc ce matin toute seule et pas plus tôt sortie du temple 7 qui nous a hébergés, me voilà déjà perdue, ne voyant aucun balisage connu. Bernard n’étant pas joignable, vent de panique! Mais je repère un japonais avec chapeau, bâton et veste blanche et me jette sur ce pèlerin providentiel qui bien sûr très gentiment me propose de l’accompagner puisqu’il se rend lui aussi au prochain temple.
C’est un adepte du chemin le plus court, nous voici donc à marcher le long de la route principale, au lieu du chemin bucolique que nous avions repéré sur notre road-book. Mais bon, je ne vais pas faire la difficile, je suis bien trop soulagée d’avoir trouvé un guide. Je ne suis vraiment pas faite pour marcher toute seule dans ce pays ! Fort heureusement, il n’y a qu’une heure de marche car la pluie s’invite rapidement au voyage et la conversation avec mon charmant compagnon reste assez limitée compte tenu de mon japonais et de son anglais tout aussi basiques.
Pas de Bernard en vue à l’arrivée…ni dans l’enceinte du temple que je parcours toute seule…Deuxième vent de panique de la journée. Je le retrouve enfin sur le parking où il a reçu en m’attendant son premier « o-settai » : une orange de la part d’une pèlerine qui a partagé avec lui les deux oranges qu’elle avait reçues en cadeau.
La pratique de l’o-settai est un des fondements du pèlerinage de Shikoku. C’est un principe d’accueil et d’hospitalité de la part des habitants envers les henros qui ont quitté leurs obligations et leurs proches pour partir honorer le Bouddha. L’o-settai est une façon de participer au pèlerinage pour ceux qui sont retenus par leurs activités. Il ne doit pas, bien entendu, être refusé. Chez les commerçants il prend en général la forme d’un produit supplémentaire offert, chez les paysans, il s’agit souvent de fruits, mikan les mandarines locales. La meilleure façon de remercier est d’offrir en échange son fuda (le feuillet où l’on inscrit son nom) qui sera conservé précieusement par celui qui le reçoit. Ces actes absolument gratuits sont très touchants et feront partie des moments clés et lumineux de ce voyage.
Nous voilà repartis, sur le bitume toujours… égrenant les temples très nombreux dans cette première partie du pèlerinage.
Le Temple 9 Horin-ji, la Roue du Dharma
Et sa très jolie pagode à deux étages aux charpentes de toits très colorées.
Sans oublier le dragon-fontaine à l’entrée du temple, qui fournit avec constance l’eau nécessaire aux ablutions de pèlerins. Eau que l’on verse sur ses mains grâce à des coupelles métalliques aux longs manches.
Le Temple 10 Kirihata-ji, la Tisserande
Ce temple est le Lourdes local ! Pourquoi soudain tant de monde ici alors qu’ailleurs c’était le calme absolu ? Mystère. Peut-être parce qu’il contient la seule image de Bouddha Sakyamuni couché. Nous grimpons un long chemin jalonné de marchands ambulants offrant des nourritures ne semblant guère appétissantes. Et puis ce sont 300 marches à gravir. Nos sacs sont définitivement trop lourds, il fait chaud et humide, toute celle foule jacassante arrivée ici en voiture ou en bus m’oppresse.
Les places assises disponibles à l’ombre dans l’enceinte du temple sont ici fort rares. En général, on trouve toujours des bancs de bois bleus sur lesquels on pose son sac avant de partir accomplir ses obligations rituelles. Nous nous partageons les tâches, en bons mécréants que nous sommes. J’aime bien sonner la cloche en arrivant, Bernard se laver les mains à la fontaine et déposer trois bâtonnets d’encens. Nous zappons la récitation des sutras, il y a belle lurette que je ne pratique plus nos prières catholiques, je ne vais donc pas en apprendre des nouvelles ! Et je refuse de faire semblant.
Mon grand plaisir est de me poser sur un banc bleu et d’observer le manège des pèlerins japonais pendant que Bernard prend des photos. Puis nous déambulons dans les jardins qui sont le plus souvent des havres de paix, de sérénité et un vrai bonheur pour les yeux. Ici, ce n’est pas vraiment le cas, trop de monde ! Nous prenons un petit encas pour nous régénérer, amandes, chocolat…un peu de thé. Et avant de quitter les lieux, je me rends au bureau du temple pour faire tamponner notre livre, j’adore ce moment. Je suis tellement admirative de les voir tracer à l’encre noire et au pinceau, poignet levé, ces beaux caractères stylisés, illisibles pour nous pauvres béotiens, après avoir apposé leurs trois sceaux couleur vermillon.
J’achète un omamori, porte-bonheur japonais si j’en trouve un qui me plait. Ce sont des sortes d’amulettes vendues dans la boutique des temples bouddhistes ou des sanctuaires shinto. L’original était un petit sachet en tissu brodé contenant une prière ou une inscription sacrée que l’on peut accrocher à son sac ou ailleurs. Mais ils déclinent maintenant des thèmes aussi variés qu’hétéroclites, sans même aucune connotation religieuse pour certains : animaux, légumes, fleurs, symboles religieux, divinités, cartables, tongues… le tout miniaturisés. Au fil des temples, nous en constituerons toute une collection qui seront nos petits cadeaux pour la famille et amis à notre retour.
Posés et exténués sur notre banc, une charmante japonaise offre à Bernard un set de boissons, biscuits et bonbons. Je reçois une écharpe blanche avec le sutra du cœur imprimé et nous faisons échange de nos osame-fuda. Les nôtres sont blancs (à gauche sur la photo), les siens sont dorés, ce qui signifie que cette charmante dame a accompli ce pèlerinage au moins cinquante fois ! Sans doute en version motorisée, mais tout de même cela est une performance.
En Blanc : un à quatre pèlerinage. Couleur verte : cinq à sept. Fond rouge : huit à vingt-quatre. En Argent : vingt-cing à quarante-neuf pèlerinages. Et en Or : cinquante et plus!
En redescendant, nous faisons notre halte-déjeuner dans un stand à udon, des nouilles servies dans un bouillon avec quelques légumes verts et autres ingrédients pour l’instant indéfinissables.
Excellent et tellement bienvenu, le petit-déjeuner de ce matin m’ayant bien rebutée… et dire qu’il va falloir tenir trois mois ainsi…
Un stand plus loin, nous nous offrons un dessert avec deux fraises caramélisées en brochette comme les pommes d’amour de nos foires et un peu plus loin des petites madeleines locales toutes chaudes délicieuses, préparées avec dextérité et efficacité dans un énorme moule chauffé au gaz. Aussitôt cuites, aussitôt emballées, aussitôt consommées. Proust en aurait écrit des pages, nous nous contenterons du délice du moment. Un an après, je m’en souviens encore …
Finalement, tous ces marchands du temple qui nous avaient agacés en montant, présentent quelques avantages.
Au programme de l’après-midi, neuf kilomètres sur des petites routes, en plein soleil avec toujours cette chaleur humide qui nous colle à la peau. Nous traversons une grande plaine maraîchère avant d’atteindre l’agglomération au pied de la montagne où se niche le dernier temple de la journée.
Ici, repiquange de légumes, à deux sur un petit tracteur qui paraît très astucieux. Les parcelles sont petites, rectangulaires et tout en longueur, avec un système de canaux d’irrigation manifestement très bien entretenu.
Le Temple 11, Fujiidera, la Source aux Glycines
Un des trois seuls temples zen de ce pèlerinage. C’est la fin de la journée mais les fidèles sont nombreux et nous y arrivons dans un nuage d’encens.
Je suis épuisée, mon sac me scie les épaules. Soudain, une voiture s’arrête à notre niveau. Un vieux monsieur nous demande d’où nous venons, la question classique, avec nos gueules de gaijin, il est difficile de passer inaperçu ! Furansu jin ! Nous sommes français… et là le visage s’illumine, ah Furansu ! Bref, c’est le succès assuré à tous les coups.
Et voilà notre petit vieux qui se met à fouiller dans un sac, présage d’o-settai… je me dis oh non, pas de biscuits immangeables, par pitié ! Depuis le matin, je rêve de fruits et nous n’avons pas vu une seule boutique pour en acheter. Le miracle s’opère, ce cher homme nous sort une orange, je l’aurais bien embrassé, mais ici cela ne se fait pas du tout. Assis au bord de la route, nous dégustons notre orange avec délice et grande reconnaissance. En principe, tout o-settai consommable est avalé tout de suite, afin de ne point alourdir d’avantage les sacs.
Les deux derniers kilomètres n’en finissent plus, nous atteignons enfin notre ryokan du soir. C’est une construction moderne sans grand charme où nous sommes très chaleureusement accueillis et envoyés au bain illico. C’est une injonction que nous aurons très souvent, qui n’a rien de dépréciatif ou critique à notre égard. Elle vise à nous permettre de prendre notre bain avant le dîner, toujours à 18 heures.Le bain, le furo, est collectif, non mixte. Tout le monde à poil, dans un rituel qui nous conviendra très bien à l’usage.
Malgré notre éternel problème de communication, je parviens à faire comprendre à notre hôte de réserver nos deux prochaines nuits. Opération réussie ! Ouf nous ne dormirons point dans ces huttes pour henro que l’on aperçoit parfois en bord de chemin pour ceux qui préfèrent bivouaquer. Elles sont certes ravissantes mais je préfère les réserver à nos pauses goûter.